Dire que le monde de l’automobile est en pleine incertitude, voire incertitudes (Business model, poids et fonctionnalités, prix et dépréciation, nouveaux acteurs, digitalisation accrue, intermédiation, nouvelles technologies, ADAS, énergies de motorisations et impacts sur le modèle d’activité, contraintes légales, environnementales ou SRE, relations entre les parties …) est un euphémisme.
Constructeurs ou équipementiers, logisticiens ou partenaires, concessionnaires ou indépendants, assureurs et banquiers ... tous sont à la recherche d'éclairages dans un monde automobile pluri-disruptif. De même, l’import comme la distribution automobile sont chahutés comme jamais. Je connais des dizaines de concessionnaires qui se posent de vraies questions.
Ce phénomène n’est guère nouveau, on en parle depuis 40 ans, et j’y travaille depuis des décennies. En particulier lorsque j'ai piloté le Think-tank ICDP. Mais son intensification et son caractère critique s’accentuent.
Beaucoup de Managers, comme de Patrons du secteur, se cherchent et essaient de trouver des « boussoles ».
Mais encore plus sérieux, et au delà de la perte d'orientation comme du changement du poids des acteurs, on signalera également la divergence des visions, comme des opinions, qui participe à ce brouillard.
Avec des médias, des journalistes, des commentateurs ... et même des experts du secteur qui disent tout et leur contraire, ... Nous sommes donc en totale incertitude.
Rentrons donc dans le détail de ces "multiples incertitudes simultanées".
Avec déjà un premier exemple, basique : sur quel constructeur parier ? Difficile à (pré)dire, surtout quand on investit massivement, à l'aune de ce graphe animé !
Autres exemples de sujets ouverts, toujours non résolus à ce jour :
- l'énergie électrique, poussée par quelques ayatollas environnementaux (on parle de 100% électrique jusqu'à une part plus mesurée de 35 à 50% du mix, ... ) ce qui est déjà énorme, alors que bornes et production d'électricité ne sont pas au rendez-vous ... Bruxelles, qui veut vite le 100% électrique fait une erreur stratégique.
- la crise des semi-conducteurs : largement provoquée par le "système lui même" : On oublie largement de signaler que les Directions des achats de l'automobile payant moins que d'autres secteurs, ceux ci sont livrés par priorité ... l'arroseur arrosé. Pour une fois, les chinois ne sont pas responsables de tout.
- la "mondialisation heureuse" de l'automobile : faire travailler des prisonniers chinois ou des Ouighours, pour réimporter des voitures dans une Europe désindustrialisée ... même si le président clame le contraire. On en reparlera.
- le suréquipement des véhicules : a-t-on "VRAIMENT" besoin d'avoir un jour Excel dans sa voiture ? pourquoi certains poussent des équipements de mesure de la santé (rythme cardiaque, fatigue, ...) alors qu'ils nous vendent pour après des voitures soit-disant autonomes ? Qui marche sur la tête ? Où est le nord ?
- le surpoids des véhicules et le concept (débile ?) d'un gros SUV de 5 à 8 places qui reste 92% de son temps garé ... et qui a en moyenne 1,2 conducteurs & pax lorsqu'il se déplace, sur les Champs Elysées ou Cours Mirabeau ...
- le prix d'une voiture ... conséquence, entre autres, des deux points précédents comme de l'inflation des prix des matières premières. Vu l'évolution du prix moyen d'un véhicule ( 35.000 euros ) et la décote des 2 premières années (de l'ordre de 35%), qui peut, avec un SMIC, se payer une voiture ? ... sans parler de l'assurance (15% de non assurés en France ...), du carburant, des stationnements et des péages. On est à des années lumières du concept d'Henry Ford de la voiture pour tous.
- la pollution et le recyclage : sujets longtemps ignorés, aujourd'hui maltraités et mal traités. Qui ose en effet parler de la pollution (bien supérieure au CO2 des pots d'échappement) bien supérieure générée par les plaquettes de frein et l'usure des pneus ? Personne ! Et pourtant elle est plus de 4 fois supérieure à celle qui sort des pots d'échappement, dont tout le monde parle depuis 50 ans.
- les "relations entre partenaires" (Marques et distribution, constructeurs et équipementiers, équipementiers entre eux, ...) qui vont de plates à médiocres, et de houleuses à détestables. En tout cas jamais sereines. L'écosystème est il vertueux ? Certains de mes clients en doutent régulièrement, mais le sujet est tabou.
- le Business model de la commercialisation et de la distribution des voitures et des pièces ... où il y a tant à faire et à redire. La notion même de propriété et d'usage , celle de la mobilité en zone rurale ou en métropole (2 sujets diamétralement opposés)
- les aides à la filière : subventions, primes à la casse, primes à la reprise, primes à l'électrique, ... comme les freins à la filière (taxes multiples et vignettes, les interdictions diverses, les restrictions d'usage ....) se multiplient, se contredisent, changent ... dans un formidable festival malencontreux aux effets yoyos.
- les errements en matière de qualité, d'application ou pas des garanties, de politique clients et de ce que, in fine, l'on appelle le "value for money". J'ai des dizaines d'exemples en tête.
- ... et le manque d'esprit disruptif et prospectif, en particulier sur les impacts technologiques , économiques et géopolitiques de tous ces boulversements en cours, des cadres de l'automobile, souvent trop "classiques" et peu ouverts au changement. On évoque souvent le fameux "NIH" (pour Not Invented Here, concept que je pourchasse depuis plus de 20 ans ...).
En synthèse de ce premier propos :
- La multiplicité de ces interpellations frappe.
- L'orientation facheuse de certaines choque.
- La doxa, le mainstream, le bien pensant paralysent tout jugement critique ou évaluation à froid.
- Le silence sur certains points dérange.
- le non réfléchi et le peu travaillé de certains volets ... questionne.
- Le caractère disruptif et incertain de toutes interpelle.
Car c'est bien celà le vrai sujet : où est et quelle est la "bonne direction" ou pour le moins la "moins mauvaise" ? Et surtout, qui sait questionner et remettre en cause le mainstream ? qui ose challenger les idées reçues du microcosme automobile ? qui sait poser les débats et orienter ?
Bienvenue en incertitude(s) donc. Bienvenue dans ce monde disruptif et disrupté, où vision et adaptabilité, agilité et effectuation sont les maîtres mots du Management automobile.
Extrait de mon intervention au WSC (Octobre 2020) sur l'incapacité des managers de l'automobile à être disruptifs comme à gérer l'incertitude (voir un autre papier spécifique sur ce blog)
Face à ce mur d’incertitudes, ce que les patrons, CoDir et entreprises du secteur recherchent est multifacettes :
- De l’expertise neutre, face aux nombreux challenges et incertitudes du métier, des métiers ;
- Un complément d’expérience face aux « cadres maison », ce que j’appelle "l’effet grenadine" ;
- Une certaine capacité à imaginer le futur proche, des conseils sereins pour établir une vision prospective, des axes de réflexions stratégiques, …
- Des relations chez les constructeurs et leurs marques, comme chez les nouveaux arrivants. Voire même une capacité d'intermédiation.
- Des contacts, des réseaux, de l’influence ;
- Une expérience internationale, propre à entretenir leur vision extra-hexagonale, comme à soutenir leur expansion hors des frontières ;
- De la disponibilité et de l'écoute, des propos réfléchis. Y compris le dimanche en fin d'après-midi ... ce que j'appelle "l'heure des Présidents".
Car on navigue dans l'incertitude, c'est sûr, mais certains foncent déjà dans le mur.
A titre d’exemple, je me suis permis, cet été, d’interpeller l’un des nôtres sur la réelle nécessité (!!!???), en 2021, d’imaginer poursuivre la construction de "cathédrales automobiles", ces gigantesques concessions automobiles aux show-rooms sans fin et aux ateliers désespérement en sous activité et peu remplis, les fameux mégastores.
Est-ce bien raisonnable vis-à-vis de ses actionnaires ? Il faut le formuler comme le dire, de façon discrète et continue. Combien de m2 inutiles ? pouquoi des plafonds si hauts, rendant le bati onéreux en chauffage, éclairage, climatisation ... ?
... Inutile de vous dire que notre cher collègue, un "Car-guy" que je connais depuis près de 30 ans, n'a guère apprécié. Mais je lui ai dit. Et je pense que sa prochaine concession ne sera plus aussi sur-dimenssionnée.
Dans un autre ordre d'idée, un banquier investisseur me questionnait récemment sur le financement d'une grosse (à gigantesque) usine de fabrication de batteries. Face à son optimisme béat, je l'ai douché en lui expliquant que je pensais que le 100% électrique était tout autant une hérésie qu'une grave erreur stratégique. Certes Bruxelles nous martelle le contraire. Mais sera-ce la première fois que la Commission se sera trompée ? et faut-il donner le pouvoir européen aux ayatollas verts, ou ... au bon sens ?
Certains Dirigeants ou ComEx font donc appel à des « éclaireurs », insighters du secteur, pour les conseiller, voire leur proposer des orientations. Probablement différentes, ... nécessairement différentes.
Sous différentes formes : embauche d’anciens cadres des constructeurs, contractualisation d’une expertise régulière ou Administrateur indépendant … Il y a en effet 3 solutions possibles :
1. L’embauche d’un ancien Dirigeant du secteur.
A mon avis, ç'est la moins bonne des 3 options.
Elle représente un poids financier non négligeable pour l’entité économique concernée, et est (le plus souvent) à plein temps alors que l’on peut se poser la question du temps réellement nécessaire à une telle démarche ? 2 à 4 jours par mois suffisant probablement. Une embauche mettra l’impétrant en confrontation frontale avec les « cadres maison », enprovoquant un choc culturel permanent. Est-ce utile ?
Enfin, périmètre d’intervention comme différence de vitesse risquent de constituer de solides interrogations, voire divergences. Je connais ainsi plusieurs greffes, y compris avec des Managers de transition, qui n’ont pas fonctionné.
Je lui préfère donc deux autres modalités d’intervention, plus légères, plus souples et moins onéreuses. Je les pratique personnellement l’une comme l’autre.
2. Le Conseil exécutif
Souple, il correspond à un engagement mutuel de quelques jours par mois, par exemple 2 à 6, qui présentent déjà une solide économie face à l’option précédente. Nécessaires pour progresser, ils sont également suffisants pour apporter des éclairages en profondeur, travailler avec les équipes, faire concrètement avancer des projets.
De plus, la polymorphie sera assurée par la capacité, pour l’impétrant, de travailler sur d’autres horizons de réflexion, d'autres entreprises, enrichissant ainsi en permanence sa personnalité comme ses compétences et son apport. Je l’ai personnellement pratiqué plus d’une quinzaine de fois depuis que je ne suis plus Chairman d’ICDP. Mes clients semblent heureux … (voir l'onglet Références)
3. L' Administrateur indépendant
L’activité est plus ou moins la même que l’option précédente, mais dans un cadre plus bordé, plus officiel. L’AI est une sorte de "Conseiller technique avisé" tant du CEO, que du Conseil d’Administration et de son Président, que des actionnaires qui pourraient le solliciter. Utile, voire très nécessaire, quand on sait que nombre de Conseils d'administration du secteur sont familiaux, ou ne comportent pas "nécessairement" de fortes compétences sectorielles. Or le contexte est plus aux professionnels du secteur qu'aux oncles bienveillants. Excusez-moi pour l'image ... mais c'est du vécu.
L'Administrateur indépendant est membre de droit du Conseil d'Administration, y siège et s'exprime. C'est une activité rémunérée. Un AI est souvent formé à cette fonction (APIA et IFA), et est un gage certain de bonne Gouvernance d’entreprise, dans l’intérêt de toutes les parties.
Depuis plusieurs années, je pratique cette activité (*). Y compris dans l’automobile, où je met mon expérience et ma vision au service des investisseurs du secteur automobile, des Actionnaires, des Conseils d'Administration, des PDG et des ComEx / CoDir. En France et à l'étranger. On en parle ?
(*)Voir l'onglet GOUVERNANCE de ce site
Interview sur ce sujet, L'Argus, Septembre 2021